Le temps historique au service de la réflexion tactique et stratégique
Par Paul-André Soreau, Président Fondateur de Altride Family Office
La crise du Covid était imprévisible ou du moins inattendue tant en raison de son effet massif et mondial que de son impréparation, nécessitant l’arrêt quasi total de l’économie mondiale.
Cette crise, initialement sanitaire, a eu des conséquences financières considérables se transformant ainsi en crise économique.
Les ménages sont bien entendu en première ligne et impactés à la fois dans leur travail, dans leurs revenus mais aussi dans leur patrimoine.
Face à cette situation, les décisions en terme de placement se complexifient, des interrogations émergent : faut-il réaliser des arbitrages et lesquels effectuer ? Où placer son argent en 2020 ?
Toutes ces questions sont délicates et il n’existe pas une réponse unique, à la fois parce que le futur demeure par définition incertain mais aussi parce que chaque cas est particulier et chaque famille unique.
Nous essayons au travers de cet article de donner quelques pistes de réflexions en empruntant à Fernand Braudel sa pensée sur le temps historique qui est un guide précieux à la fois dans l’analyse de la situation actuelle mais aussi dans les décisions éventuelles à prendre.
Dans son travail sur la Méditerranée, Fernand Braudel s’inspire d’une métaphore maritime pour illustrer les trois temporalités de l’Histoire.
- le temps événementiel qui est illustré par « l’agitation des vagues », comme « l’écume » ou « le clapotis » : ce sont les événements que nous sommes en train de vivre en 2020
- le temps de la conjoncture de moyen terme qui est illustré par « les vagues de fond » et qui nécessite d’anticiper les grandes tendances économiques et financières des prochaines années
- le temps long qui est illustré par « la mer » et qui représente les décisions d’une vie voire de plusieurs générations : il s’agit ici de bien appréhender les grandes tendances structurelles, et même anthropologiques ou anthropocènes du monde de demain
Dans ce contexte de retour de vacances, nous reprendrons donc dans le cours de cet article cette illustration maritime en examinant les trois échelles de temps qui doivent nous guider dans toute prise de décisions patrimoniales.
Le temps de la conjoncture : sécurité, liquidité et opportunités
Les trois maîtres mots des crises économiques sont sécurité, liquidité mais aussi opportunités.
Sécurité car les périodes de crise comme celle que nous vivons actuellement peuvent être des périodes à haut risque pour certains actifs.
Des entreprises, notamment cotées peuvent voir leur valorisation baisser très fortement, voir devenir nulles si celles-ci sont amenées à faire faillite.
Il en va de même pour le secteur obligataire si le créancier est amené à faire défaut. La sécurisation des portefeuilles boursiers ou obligataires consiste à arbitrer le plus tôt possible les actifs pour lesquels on anticipe des baisses de valorisation ou des défauts possibles. Il s’agit ici d’écarter les actifs dont les fondamentaux sont négatifs, soit en raison d’une mauvaise gestion, soit parce que le secteur économique est fortement et durablement impacté par la crise actuelle.
A court terme, les aides massives mises en place par les Etats ont pour l’instant limité autant que possible le nombre de faillites et masqué en tout ou partie la situation réelle de certaines entreprises (qu’il ne sera pas possible de maintenir durablement à bout de bras).
Ainsi, il est à craindre que les mois à venir soient décisifs et révélateurs de la véritable situation de certains acteurs économiques (tant privés que publics ou para publics).
La prudence est donc plus que jamais de mise.
La liquidité est le deuxième élément qui peut guider les décisions de court terme.
Dans le contexte actuel, l’épargne justement qualifiée « d’épargne de précaution » peut être sollicitée et mobilisée pour faire face aux différentes conséquences de la crise : perte d’emploi, nécessité de renflouer son entreprise, baisse de revenus liée à du chômage partiel ou à la non-perception de loyer par les bailleurs…les motifs peuvent être divers et variés pour avoir à puiser dans son épargne de précaution, afin de faire face à des difficultés de trésorerie passagères ou plus durables.
Les placements monétaires (OPCVM) sont particulièrement adaptés pour faire face à ces besoins de trésorerie mais leur rendement est très faible, voire quasi nul (quand on inclut les frais de gestion), ou négatif lorsque l’on prête à l’Etat.
Bien qu’offrant un rendement faible mais défiscalisé en tout ou partie, on comprend alors que l’épargne réglementée (livret A, LDD, PEL, LEP…) ait enregistré en 2020 des records de collecte, accentués par l’épargne forcée résultant de la baisse de la consommation liée au confinement.
Les marchés financiers, notamment boursiers offrent également une liquidité quasi immédiate, mais encore faut-il arbitrer au bon moment pour « vendre au mieux » (voir ci-après).
Mais pour l’épargnant en recherche de liquidité, l’arbitrage de certains biens immobiliers peut être un moyen de dégager rapidement des liquidités. Ainsi, l’heureux propriétaire d’un bien immobilier résidentiel à Paris a la possibilité aujourd’hui de le vendre en quelques jours. Seules les formalités administratives (droit de préemption, notaire…) ou de financement de l’acquéreur retardent l’appréhension effective des fonds (environ 3 mois).
Il est devenu un lieu commun de rappeler qu’en chinois le mot crise signifie également opportunité. C’est le propre de toute crise économique ou financière que d’offrir pour l’investisseur des opportunités de gains ou de placements judicieux.
En raison des fluctuations rapides des cours (à la hausse ou à la baisse), la bourse est le lieu privilégié pour saisir des opportunités. Apparemment, rien de plus simple : il s’agit de vendre en haut de la courbe et d’acheter en bas de la courbe. Toute la difficulté résulte de savoir où on se situe sur la courbe. Or dans une période de fortes incertitudes (notamment sur l’arrivée d’une deuxième vague et sur la durabilité du virus), il peut y avoir en peu de temps des fluctuations très fortes qui entrainent une succession rapide de courbes tant à la hausse qu’à la baisse, de sorte qu’il est difficile de saisir une tendance haussière ou baissière. Les variations sont à la fois un facteur de difficultés mais offrent autant d’opportunités au spéculateur en fonction de l’échelle de temps en question.
On comprend dès lors que saisir des opportunités est non seulement risqué mais nécessite aussi de la disponibilité ainsi qu’un certain savoir-faire. L’épargnant averti pourra donc soit réaliser seul ses arbitrages, soit au contraire se faire aider par un professionnel. Investir en bourse via un OPCVM peut aussi être un moyen pertinent de déléguer la gestion tout en faisant confiance au gérant pour saisir les opportunités.
La crise économique va aussi avoir des effets sur les entreprises non cotées (private equity) où des opportunités de rachat (soit dans le cadre amiable, soit dans le cadre judiciaire suite à une cessation de paiement) vont se présenter. Il en va de même en matière immobilière où des utilisateurs vont certainement faire défaut dans les secteurs du tourisme (hôtellerie), du commerce (notamment restauration…) ou des bureaux (les entreprises vont vouloir diminuer leur coût immobilier). Cela peut représenter des opportunités pour des investisseurs qui veulent prendre des risques.
Des fonds de Private Equity ou des club deals immobilier (regroupement d’investisseurs) peuvent permettre de saisir ces opportunités sur un période moyenne de 6-7 ans. L’investisseur plus aguerri peut souhaiter réaliser ces investissements en direct.
Le temps de la conjoncture : une quête de rentabilité dans un contexte d’intervention massive des Etats.
Une des grandes leçons de la crise du Covid est la confirmation d’un engagement durable des Etats dans la vie économique et sociale.
Ce facteur n’est pas nouveau (l’Europe représente ¼ du PIB mondial et la moitié des dépenses sociales !) mais ce phénomène s’est largement étendu à tous les pays de la planète (même les très libéraux américains ont débloqué une aide sociale et un plan de relance) et s’est fortement accentué, de sorte que l’on peut considérer qu’il s’agit d’une tendance lourde et pérenne.
Il en résulte deux conséquences essentielles pesant sur la politique des banques centrales :
- la poursuite de taux d’intérêt bas afin de maintenir la soutenabilité de la dette émise par les Etats pour financer les plans de soutien et de relance économiques ainsi que les dépenses sociales générées par la crise du Covid
- la poursuite et l’accentuation de la politique de « quantitative easing »[1] ayant pour conséquence d’inonder le marché de liquidités, afin de permettre aux émissions obligataires des Etats de trouver un débouché
Ces deux éléments ont des conséquences importantes sur les placements des ménages.
Le premier effet est la baisse de rentabilité générale des placements. Cela s’est concrétisé de façon évidente pour les Français sur la baisse de rentabilité des contrats d’assurance vie en euros (investi massivement dans les obligations d’Etat).
La deuxième conséquence est l’inflation de la valeur nominale des actifs et donc des placements des français. Les taux d’intérêt bas permettent d’emprunter à moindre frais pour acquérir des actifs et les émissions monétaires importantes de banques centrales ont pour effet de baisser la valeur relative de la monnaie et incitent les épargnants à acquérir des actifs réels afin de se protéger contre une perte de pouvoir d’achat (entrainant par là même une hausse de la demande des actifs et donc des prix). A revenu constant, l’inflation des actifs est un autre facteur expliquant la baisse de la rentabilité.
La recherche de rentabilité encourage les épargnants à investir dans des actifs plus risqués, comme l’immobilier ou le private equity. Or le taux de rendement d’un bien est d’autant plus important que le placement est risqué. Cette tendance à la baisse des taux de rendement entraîne une moindre rémunération du risque. Cela signifie qu’aujourd’hui le risque du placement est moins bien rémunéré qu’hier. Comparé au placement considéré comme sans risque qu’est l’OAT 10 ans, on constate une prime de risque de plus en plus faible, de sorte qu’on peut même se poser la question de savoir si le risque est aujourd’hui suffisamment rémunéré.
L’allocation d’actif idéale est celle qui permet de trouver le couple rendement-risque optimal.
La recherche de rentabilité s’accompagne nécessairement d’une prise de risque plus importante. La diversification peut être le moyen à la fois de doper la rentabilité mais aussi de limiter le risque.
Les produits structurés sont également un moyen de doper la rentabilité tout en assurant une certaine garantie du capital. Il s’agit à l’évidence de produits complexes réservés à une clientèle ayant déjà un certain niveau de patrimoine.
La recherche de rentabilité s’accompagne nécessairement d’une prise de risque plus importante. La diversification peut être le moyen à la fois de doper la rentabilité mais aussi de limiter le risque.
L’intervention massive des Etats pose en creux la question de la fiscalité car il est clair qu’il faudra un jour rembourser les dettes contractées par la puissance publique. Or la France est un des pays où le taux de prélèvements obligatoires est le plus élevé de la planète (plus de 46 %) et où l’imposition est la plus concentrée (2% des ménages payent plus de 40 % de l’impôt sur le revenu).
Pour se constituer un patrimoine, il est donc utile de bénéficier des dispositifs fiscaux permettant d’atténuer autant que possible la fiscalité. On citera de manière non exhaustive :
- le PEA (Plan d’Epargne en Actions) qui permet de se constituer un portefeuille boursier en exonération de plus-value
- le PER (Plan d’Epargne Retraite) qui favorise la constitution d’un capital retraite, grâce à une déduction d’impôts
- les dispositions Pinel[2], Malraux[3], Cosse[4], Denormandie[5] ou Censi-Bouvard[6] qui permettent de se constituer un patrimoine immobilier locatif avec une fiscalité allégée, à condition de bien sélectionner son investissement en terme de localisation
- le dispositif Dutreil qui permet sous certaines conditions de transmettre une entreprise avec une réduction de base imposable au titre des droits de mutation à titre gratuit de 75 %
Le temps long : la nécessité de préserver le capital dans un contexte de changement de modèle de société²
Sur le temps long, l’objectif est de préserver son capital, soit pour soi, soit pour les générations futures dans le cadre d’une transmission à titre gratuit. Cette protection du capital passe nécessairement par une certaine diversification (tant en classe d’actifs que géographiquement). L’idéal est également de choisir des actifs peu corrélés entre eux (loi de Marckovick), c’est-à-dire se comportant différemment face à un événement économique.
Pour les ménages, la question première est celle de la retraite et de la fin de vie. Alors que la réforme des retraites se précise, le Président Macron explique que la retraite par répartition est le patrimoine de ceux qui n’en ont pas. Il est tout aussi clair que le patrimoine est la retraite de ceux qui n’ont pas de retraite (ou qui en auront une insuffisante). Il s’agit d’une des premières motivations de la constitution d’un patrimoine : pouvoir faire face à ses besoins et à ceux de son conjoint, en fin de vie.
La motivation subsidiaire est celle de la transmission aux générations futures, au nom de la solidarité familiale. Les droits de succession sont une question majeure alors que la tranche marginale d’imposition en ligne directe est à 45 %[7] (avec un barème progressif et un abattement de 100.000 € par enfant et par parent).
L’assurance vie est incontestablement le support qui répond le mieux à ces deux problématiques : il permet au moment de la retraite d’effectuer des rachats partiels à une fiscalité relativement clémente. Au décès du souscripteur et à condition que le contrat ait été souscrit avant 70 ans, l’assurance vie permet de bénéficier d’un abattement de 152.500 euros par bénéficiaire et d’une taxation à 20 % ou 30 % selon les montants en jeu.
Pas étonnant qu’avec 1.788 milliards d’euros investis, l’assurance vie soit le placement préféré des français. Il s’agit d’une enveloppe fiscale qui permet grâce aux unités de compte d’avoir une allocation d’actifs diversifiée avec des choix similaires avec ceux qu’on pourrait avoir en cas de détention en direct.
Il est ainsi possible d’investir en actions grâce à des OPCVM qui constituent des unités de compte des contrats d’assurance vie.
Sur le long terme il est en effet démontré que le placement actions est l’un des plus rentables. Au sein des OPCVM, on assiste à la montée en puissance des fonds à gestion passive (dit ETF -Exchange Traded Funds) qui répliquent un indice et permettent de diminuer les frais de gestion. L’autre solution consiste à faire confiance à un gérant collectif ou de privilégier une allocation d’actifs thématiques (voir ci-après les thèmes de prospection possible).
Sur le long terme, l’immobilier est également un actif qui répond à ces problématiques à la fois de complément de retraite et de transmission. Les loyers peuvent constituer un complément de revenu et l’immobilier de jouissance (résidence principale mais aussi résidence secondaire) permet de faire une économie de loyer et donc de dépense. L’immobilier reste très taxé sur le plan des droits de succession. Le seul moyen de réduire l’addition est de faire une donation en démembrement de propriété (avec réserve d’usufruit) le plus tôt possible afin de diminuer au maximum la valeur de la nue-propriété (et donc des droits de mutation à titre gratuit).
L’évolution démographie de la planète (la terre doit gagner deux milliards d’habitant en plus d’ici 2050) démontre que les actifs réels sont des placements d’avenir sur le long terme.
Il s’agit bien entendu des placements immobiliers mais aussi fonciers (terres agricoles, bois et forêts, vigne), mais aussi des placements en matières premières (les métaux précieux comme l’or ou les métaux de base mais aussi les matières premières agricoles..).
Une allocation d’actifs de long terme doit tenir compte des tendances lourdes de la société qui ont préexisté à la crise du Corona virus mais qui risquent d’avoir un effet accélérateur ou d’une prise de conscience collective :
- l’évolution des modes de travail (télétravail…) qui pose la question à la fois de l’immobilier de bureau mais également la question du travail pour tous et du revenu universel, avec ses conséquences durables en matière de fiscalité
- la relation de notre société avec la mort et la fin de vie montre la vitalité de tout ce qui est lié à la santé, aux services à la personne (EPHAD, habitat transgénérationnel…) mais aussi au contrôle de la vie de la naissance (PMA, GPA…) à la fin de vie (transhumanisme), avec tous les problèmes éthiques que cela pose
- la révolution numérique modifie notre façon de vivre dans tous les domaines (achat à distance bien sûr mais aussi presse, téléconsultation pour les profession libérales, télé-enseignement dans le domaine de la formation, services bancaires….). Cela n’est pas sans conséquence sur l’immobilier de demain ni sur les entreprises du futur à sélectionner dans le cadre d’un investissement.
Enfin, la crise du coronavirus a permis de prendre conscience de la solidarité de tous les pays pour résoudre les problèmes mondiaux que sont non seulement les pandémies mais aussi les questions climatiques. La question de l’énergie et des transports (qui ont été à la base de toutes les révolutions économiques : charbon et machine à vapeur, électricité et chemin de fer puis pétrole avec l’aéronautique et la voiture...) sera probablement l’une des grandes questions de l’économie et de la société de demain.
[1] Il s’agit du terme anglais correspondant en français à « assouplissement quantitatif » qui consiste pour une banque centrale à utiliser des moyens non conventionnels d’intervention correspondant notamment à acheter des titres de créances émis non seulement par les Etats eux-mêmes mais aussi par les entreprises [2] Concerne les logements neufs [3] Concerne les logements situés dans certains secteurs sauvegardés, des quartiers anciens dégradés et des zones protégés [4] Pour les logements locatifs loués à des ménages modestes [5] Logements anciens situés dans certaines zones et nécessitant des travaux de rénovation [6] Logements situés dans des établissements neufs dédiés aux personnes âgées ou handicapées [7] Pour un patrimoine taxable supérieur à 1.805.677 euros
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